Dehors la catastrophe mais ici, ça va. Empreintes dans le parpaing de toutes ces vies brisées sur les enceintes : c’est ici que nous vivons, tombeau sur les ruines ou bien cabane en ouragan.
Vingt ans, ça commence ici.
Avant ici, il y avait là-bas, Gerland l’origine, où pendant dix ans se sont produits les remous qui font et défont le Son — la puissance et le murmure d’une disto. Et c’est ici, à Vaux, que pendant dix ans, nous avons construit — un chantier mythique, des structures qui ont poussé comme des petites fleurs dans le béton. Les voix profondes qui ont peuplé les locaux, à l’écho toujours présent : les voix de toutes les orgas qui ont porté ces groupes au soleil de nos nuits, au fil des longues tardives épuisées de rires et de vie — ce jus de fut qui coule dans nos veines, au carrefour des catacombes de ce monde — accessible sans condition — juste, sois pas un gros relou.
Vingt ans, c’est rien dit comme ça. Mais ici, on sent tout ce qui tient dans ce temps lent qui passe à la vitesse d’une furie. Des moments, qui apparaissent si vite qu’ils impriment sur nos rétines les séquences en vrac d’une fête sans fin — ce qui reste d’un karaoké à cinq heures du mat’ dans la halle, d’une fumée qui a traversé le corps de ce guitariste perdu dans un larsen. Traverser la nuée, la foule dispersée ou bien si compacte qu’on sent les plus petits mouvements du cœur. Ouvrir des trous noirs sur une piste de danse déchirée par la transe. Deviner les petites souris qui officient backstage, la présence rassurante derrière la console. Ce petit mot dans les chiottes, planqué entre deux vertiges. Ce petit mot qui t’est adressé à toi.
Ici c’est la maison.
Grrrnd Zero, vingt ans : ça commence ici, dans le cratère du futur, pendant tout l’automne. Un tunnel comme on dit, un tunnel pour explorer les sursauts de notre fièvre, l’intime de nos cachettes en fin de soirée. L’enregistrement final adressé à tout ce que nous réserve un avenir de désastres et de possibles. Un désir brûlant dans nos bibliothèques, dans nos poèmes, nos ateliers et dans notre musique, toujours, levée debout. On restera debout.
Pas enterrées — toujours souterraines.