On a tendance à être un peu trop exaltés quand on parle de nos groupes favoris. Forcément, au bout d'un moment, vous émettez quelques doutes quand on claironne que tel ou tel groupe est génial. Dans une époque dominée par le marketing le plus crapuleux, il est parfois difficile de faire entendre la Vérité Nue. Une fois de plus, on va pourtant vous demander de conjurer vos soupçons, d'abandonner toute résistance et de répéter avec nous la phrase qui suit : Lucky Dragons est membre d'honneur du superclub des groupes les plus excitants du monde.
Lucky Dragons, c'est Luke Fischbeck et Sara Rara, deux artistes/plasticiens/vidéastes/musiciens habitant à los angeles depuis quelques années, histoire de copiner avec la constellation d'activistes et de groupes trainant autour de The Smell.
Leurs concerts ont pour particularité de mettre à contribution les membres du public, qui se voient conviés à façonner la musique du groupe à l'aide de quelques dispositifs ingénieux (Luke et Sara collent des capteurs sur le corps des spectateurs, font passer des signaux digitaux par le biais de la peau...). Si on ajoute qu'ils animent un atelier de dessin participatif (le Sumi Ink Club), qu'ils sont des adorateurs intégristes de la licence Creative Commons et mettent à disposition toutes leurs productions en téléchargement gratuit, on pourra légitimement conclure que Lucky Dragons, c'est avant tout des putains de hippies.
A part ça, décrire leur musique relève du cauchemar conceptuel. On pourrait dire un peu rapidement qu'ils font de la musique électronique. Mais ne vous attendez pas à un truc froid, autiste et stérile : leur approche de la musique est bordélique, joyeuse et éparpillée. Réminiscences hawaïennes, ukulélé 8 bits, drones exotiques, folk extrême-oriental, électronique pure, musique africaine, envolées chamaniques, psychédélisme béat...
Tout la matière sonore se fait remodeler par le laptop, dans la félicité et l'amour du prochain. Ensuite, ils laissent s'exprimer leur idiot intérieur, afin d'éveiller en nous toutes sortes d'émotions délicates. Ca peut prendre la forme de miniatures musicales, de longues plages instrumentales, ou de véritables chansons (enfin, faut pas s'attendre au format classique couplet/refrain).
Leur fixation pour le traitement numérique d'instruments accoustiques évoque nombre de gens estimables (four tet, the books, caribou, le dernier secret mommy, quelques sorties du label leaf...). Les maniaques des étiquettes unificatrices vont jusqu'à parler de courant folktronica, mais ce mot est quand même très moche. On pense aussi à d'autres gens : pascal comelade pour l'aspect bricolage miraculeux de l'ensemble, steve reich pour la répétition méditative, philip glass pour la candeur des lignes mélodiques.
Et maintenant, une conclusion qui ouvre d'ambitieuses perspectives :
Finalement, la musique de Lucky Dragons éveille des impressions contradictoires et favorables à tout un tas de dichotomies: un côté vestige de l'ère mésozoïque et un côté bande-son du futur de demain, régressif et sophistiqué, primitif et moderne, entre l'extrait musical n°27 de l'audioguide du musée Branly et ce sur quoi nos petit-enfants danseront, à condition qu'ils aient un tant soit peu de goût.